A qui appartient le virus du SIDA ?
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La recherche scientifique ne se déroule pas en dehors de la vie des savants, de leurs ambitions et de leurs prérogatives voire de leur appât du gain. Le Prix Nobel 2008 illustre parfaitement les questions soulevées par la propriété intellectuelle de milieux travaillant de plus en plus souvent en équipe. Si les résultats appartiennent à tout un groupe de chercheurs, en revanche les royalties qui découlent de leurs travaux ne reviennent qu’à quelques uns. De plus, elle n’intervient que bien des années après de laborieux travaux.
Elément déclencheur
Dans le cas de l’épidémie de SIDA, le questionnement à l’origine des recherches sur les causes de la maladie de déficience immunitaire n’ est pas pure abstraction intellectuelle :
Le 5 juin 1981, l’agence épidémiologique d’Atlanta [1] relève cinq cas de pneumonie à Los Angeles, entre octobre 1980 et mai 1981. Ces patients sont tous homosexuels et présentent un système immunitaire défaillant.
Le 3 juillet 1981, un article publié dans le “ New York Times ” porte à la connaissance du grand public cette "nouvelle" maladie. De fait, elle prend très vite le nom de "gay syndrome " puisque touchant presqu ’exclusivement la communauté homosexuelle. Une équipe de chercheurs américains se met au travail sous la direction du professeur Robert Gallo qui a découvert en 1980 le premier rétrovirus humain. On remarquera alors qu’entre les mains des savants concernés, la maladie entre dans la (seconde) phase créative du processus de découverte.
Des savants concernés
Très tôt des hypothèses parfois fantaisistes comme les vaso-dilatateurs utilisés par les homosexuels, circulent sur la maladie des 4 h (Homosexuels, Hémophile, Héroïnomans et Haïtiens). Sa transmission par la voie sexuelle (chez les homosexuels et les haïtiens), par la voie sanguine (chez les héroïnomanes et les hémophiles) est analogue à celle de l’Hépatite B ce qui rend très probable l’origine virale de la maladie : le cytomégalovirus (CMV), le virus d’Epstein-Barr (VEB), le virus de l’hépatite B (HBV) sont un instant supposés être à l’origine de l’immunodéficience. Mais tous ces virus ne sont pas la cause de l’immunodéficience mais plutôt la conséquence. Robert Gallo, pour sa part, considère le HTLV-1 comme la cause probable du Sida.
Controverse entre savants
En 1982, les premiers cas français apparaissent et des médecins se mobilisent. Ainsi, le docteur W. Rozenbaum, soignant depuis 1981 Mr Bru, un jeune steward demande l’aide de l’équipe du professeur Luc Montagnier, par ailleurs spécialiste des Oncornavirus, à Françoise Barré-Sinoussi et Jean-Claude Chermann, de l’Institut Pasteur. Les recherches commencent fin 1982 à partir de recherches sur la relation des retrovirus animaux et du cancer. C’ est en effet aux rétrovirus que l’on pense dans la mesure où les lymphocytes T CD4 sont la cible du virus. Au décès de son patient en 1983 , le Dr Rozenbaum prélève les ganglions lymphatiques à des fins d’analyse. Les chercheurs de l’Institut Pasteur cultivent ces cellules et constatent une activité enzymatique : les cellules produisent de la reverse transcriptase [2] qui signe la présence de rétrovirus. Après épuisement de la culture, le virus est transféré sur des lymphocytes T non infectés. L’activité de l’enzyme est retrouvée, commence par augmenter, puis diminue. Au contraire du HTLV-1 de l’équipe de recherche américaine, une culture du virus n’active pas les lymphocytes mais les tue. Observé au microscope électronique d’autre part, le virus responsable de l’infection est très différent de HTLV-1. Le virus isolé est baptisé LAV pour Lymphadenopathy Associated Virus et sa découverte publiée le 20 mai 1983 dans Science [3]
Tout compte fait ...
L’équipe de Pasteur envoie alors des échantillons de son isolat [4] à l’équipe de Robert Gallo du National Cancer Institute et demande des réactifs de retrovirus ( anticorps anti-HTLV) à des fins de vérifications. On voit là les limites de la collaboration interdisciplinaire : l’objectif de lutte contre la maladie s’estompe devant d’autres aspects de la découverte. En particulier, la collaboration qui a permis aux francais d’isoler le virus et aux américains d’aider à établir la relation de cause à effet entre la maladie et le virus, a de telles conséquences économiques que la rivalité entre les 2 équipes de recherche prend le dessus. La recherche scientifique apparaît alors comme une entreprise dépassant largement le contexte strictement individuel des savants et de leur milieu qui justifie à ce titre leur travaux communs. Les lois sur la propriété intellectuelle régentent leur travail d’équipe autant que d’éventuelles retombées économiques de leurs trouvailles [5]
Dès ce moment, les enjeux ne sont plus la découverte des causes de la maladie dans une pure logique scientifique mais la mise au point d’un test de dépistage. Le 23 avril 1984, la Secrétaire Américaine d’ Etat à la Santé annonce la découverte du virus [6], par Robert Gallo qui baptise le virus HTLV-III. Il considère, en effet, que le virus isolé par l’équipe francaise n’ est qu’un rétrovirus de la famille qu’il a découverte. En 1985 l’Institut Pasteur porte alors plainte aux Etats-Unis alors que les génomes du LAV (Institut Pasteur) et HTLV-III sont sequencés et apportent la preuve de l’origine commune des deux souches, [7] celle prélevées sur les ganglions de Mr Bru. [8].
Finalement, le 4 décembre 1987, un accord est conclu pour le partage des royalties du brevet du test de dépistage, aux Etats-Unis, alors que le brevet en Europe est entièrement détenu par l’Institut Pasteur. [9]
Trois logiques à l’oeuvre : scientifique, commerciale et politique
Sans que les croyances irrationnelles ayant mis sur la piste des rétrovirus soient connues [10] au moins 3 logiques ont été à l’oeuvre dans la lutte contre la maladie :
1.-La logique scientifique déductive menant des symptômes ganglionnaires de la maladie à l’infection virale. Dans cette logique intervient naturellement les positions des différents acteurs de la découverte. Du coté francais, on peut citer le Pr L. Montanier dirigeant une équipe de recherche à l’Institut Pasteur, le Pr Jean-Claude Chermann et son ancienne élève le Pr Francoise Barré-Sinoussi, du coté américain et tout aussi important dans le processus de la découverte, le Pr Robert Gallo et son équipe.
2.-La logique commerciale qui exploite la découverte sous forme de tests de dépistage de la maladie et aux yeux de laquelle les malades atteints constituent un marché dont il faut couvrir les besoins de santé.
3.-La logique politique qui, en 1987, fait intervenir R. Reagan, Président des USA et J. Chirac, Premier Ministre pour défendre les intérêts des 2 états. Pour clore le débat, l’Institut national de la Santé Américain reconnaît en 1994 que l’équipe française a identifié la première le virus responsable de la maladie. [11]
C’ est dire que la relation nouvelle de cause à effet qui s’établit entre une maladie et l’agent responsable, exprimée sous forme d’une organisation signifiante nouvelle :
"Le virus VIH est responsable du SIDA"
est fonction des lois en vigueur dans les milieux où elle a été formulée.
[1] Centers for Desease Control and Prevention
[2] L’enzyme isolée en 1978 est appelée la transcriptase réverse ou rétrotranscriptase, et les virus à ARN possédant cette enzyme sont appelés des Rétrovirus. En intégrant cette réplique du génome viral dans un chromosome, le virus peut effectivement modifier définitivement l’information génétique de la cellule hôte.
[3] (F. Barré-Sinoussi et al., Science, 220, 868).
[4] Cette communication entre scientifiques de matériels de recherche ou de résultats est affaire courante et encouragée. Elle présuppose à la fois une parfaite honnêteté intellectuelle distinguant les apports des uns et des autres aux progrès de la recherche et la définition claire des objectifs poursuivis. Dans le cas du virus VIH, les espoirs pécuniaires d’un vaccin ont, semble-t-il, empiété sur les préoccupations purement scientifiques
[5] Cette notion de propriété intellectuelle est relativement récente puisque des oeuvres comme les cathédrales ou des inventions comme celle de l’écriture sont anomymes.
[6] Constitués au minimum d’un acide nucléique (ARN ou ADN) et de protéines. (soit l’ARN ; soit l’ADN ; jamais les deux), les virus sont des parasites intracellulaires absolus, et leur réplication dépend de la cellule hôte.
[7] Robert Gallo admettra en 1991 que les souches ont été contaminées par mélange accidentel
[8] précision de Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Tenon
[9] Le Prix Nobel 2003 a également récompensé Paul Lauterbur et Peter Mansfield pour leurs travaux sur l’Imagerie par Résonance Magnétique, plus communément appelée IRM, en 1973 alors que Raymond Damadian, mathématicien et biophysicien en revendique la paternité dans les années 60.
[10] L’entretien accordé par Francoise Barré-Sinoussi à A Labouze à la Cité des Science présente la démarche comme très rationnellement déduite mais, tout au moins au début des recherches, un part de croyance est inévitablement présente dans le processus de découverte
[11] Plus récemment, le Dr Holodniy et l’Université de Stanford via un CPA ou "Copyright and patent Agreement avaient signé en 1988 un contrat de propriété intellectuelle. Puis, le Dr Holodniy avait contracté via un VCA "Visitor’s Confidentiality Agreement" un accord avec l’entreprise de biotechnologie Cetus. Dans ces conditions, quel contrat invalide l’autre ? Qui possède les droits sur cet outil de diagnostic et de mesure du taux de VIH dans le sang, kit commercialisé par "Roche Molecular Systems" en 1991 ? La Cour Suprême des Etats-Unis a confirmé le 06 juin 2011 la décision de justice de la CAFC ("Court of Appeal of the Federal Circuit") rendue en 2009, qui attribuait la propriété de l’invention à l’inventeur lui-même.
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